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Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/346

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avez bien compris la nécessité de vous en aller, vous, toute seule… Vous ne pouvez continuer de rester ici à faire souffrir « les grands » ! Puisqu’il le faut vous saurez parlir et disparaître de leur vie…

JEANNINE.

Oui. J’aurai la force maintenant.

PIERRE.

Je ne voulais pas vous entendre dire autre chose. Seulement, où irez-vous ?

JEANNINE.

Je ne sais pas. Je demanderai qu’on me mette en pension.

PIERRE, riant.

Quel drôle de petit angelot !… Mais vous avez passé l’âge de la pension ! Il faut vous faire une vie à vous !… Pourquoi ne rencontreriez-vous pas, non des valseurs, des cousins amoureux ou des Saint-Cyriens éperdus, je sais bien qu’il n’y a pas là de quoi satisfaire un cerveau comme le vôtre, frappé d’un don prématuré, mais quelqu’un qui veuille bien se consacrer à l’éducation d’une âme aussi difficile que la vôtre, Jeannine, quelqu’un qui soit à même de respecter votre chagrin et de l’aimer tendrement, comme si c’était son propre chagrin à lui qu’il consolât, pouvant vous offrir quelque chose qui ne serait ni de la paternité ni de l’amour, mais une affection infiniment mêlée… Supposez avec cela, comme par hasard, que ce vieil homme, avec son trop-plein d’inutile tendresse, trouve en vous épousant l’occasion de se dévouer à un bonheur qui n’est pas le vôtre, Jeannine, mais celui de la grande âme étrange qui régit cette maison et dont vous portez un peu l’image dans vos yeux…

JEANNINE, l’interrompant.

Arrêtez-vous. Je n’ignore pas à quel point vous avez aimé ma sœur : elle me l’a dit… Et quoique je ne sois qu’une enfant, j’ai assez souffert et je suis assez intelli-