bon goût français était la tare indélébile de notre littérature
et nous empêcherait toujours d’avoir une grande
littérature dramatique. Et il prend à partie pour le démontrer
cet amour du terme impropre et déguisé, cette
peur des situations franches, cette prédilection inaltérable
pour le classicisme, etc., etc., qui nous confinent
dans la nuance, dans une superficie élégante des sentiments
que nous croyons, parce qu’on nous l’a trop
répété, une conformation de notre supériorité. Il est
juste de dire qu’il ne peut y avoir de théâtre grand s’il
n’atteint pas les parties nobles et les parties basses de
la passion. Il faut l’humanité totale, et le peuple qui a
peur des mots et des situations est un peuple timoré
qui rend à sa littérature un service détestable.
C’est pour ces raisons que Shakespeare nous dépasse de trente-six coudées. Cela n’empêche pas qu’aux yeux du public français, malgré toute sa puissance, il demeure encore un barbare et que, par exemple, lorsque j’ai adapté Faust en vue d’une scène parisienne, j’ai été obligé d’émasculer nombre d’expressions et de jeux de scène qui eussent révolté un public de choix comme le nôtre… Je ne sais si la prédiction de Taine se réalisera. Il faut se persuader que non, mais avouer pourtant que nous sommes loin de l’avoir démentie.
Du reste, il est deux reproches que les contemporains font toujours aux écrivains et particulièrement aux dramaturges : le défaut d’idéal et l’amoralité. Ce furent de tout temps les griefs qu’on invoqua pour tenter le proès de la génération montante. Ajoutons pourtant que la postérité, lorsqu’elle daigne s’occuper de l’un d’entre nous, revise toujours ce jugement, ou ce spécieux subterfuge plutôt, en raison des lois fatales du progrès et de l’évolution. Seulement cette cour de cassation est une juridiction bien lointaine et les contemporains ont