Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 4, 1922.djvu/34

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SUZANNE, (avec une brutalité voulue.)

C’est bien cela qui m’effraye.

GRÂCE, (fronçant le front.)

Pas moi ! Chacun son paradis, qu’est-ce que tu veux ! Il ne faut pas chercher à comprendre… Nous nous entendons si bien… nous avons tellement les mêmes idées sur tout, les mêmes goûts… Oh ! la misère ne m’effraye pas ! J’ai toujours haï le monde. À Aix, on m’appelait la demoiselle en gris, parce que je m’habillais toujours en gris… J’aime tout ce qui ne se voit pas… Une vie grave, obscure, mais toute de dévouement, avec celui que je préfère, il ne me faudra pas pour cela beaucoup de courage !… Depuis huit jours que nous sommes à Paris, dans cet hôtel bon marché, près de la Samaritaine, je suis ravie, tu n’as pas idée !… Me rendre utile, au contraire, travailler à deux, c’est une existence nouvelle qui me transporte ! C’était mon rêve de faire vraiment quelque chose dans la vie… de me consacrer à un idéal… J’ai accompli une grande action par égoïsme d’abord… et par amour ensuite.

SUZANNE, (haussant les épaules.)

Une grande action ! Ah ! mon enfant !

GRÂCE.

Cesse de me traiter avec cette méprisante supériorité, Suzanne ; j’ai vingt-sept ans… Si tu connaissais mon horreur des esprits faux ou romanesques ! Tu te rappelles mon antipathie pour la petite Virginie qui avait des passions si pronon-