Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 9, 1922.djvu/123

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ront. Votre réfutation de Kant est un morceau étonnant.

HERNERT.

Eh bien, c’est à vous que je dois de les avoir écrites, ces deux dernières œuvres.

BOUGUET.

À moi ?

HERNERT.

Oui. J’ai renoncé au théâtre, vous le savez. Je méprise presque maintenant la forme poétique et plastique. Je suis arrivé à ne concevoir que la pensée abstraite. Cette métamorphose, je la dois à bien des événements, à une évolution naturelle, il se peut, mais c’est à vous surtout, et, en m’effaçant devant vous, j’acquittais une dette de reconnaissance dont vous ne pouvez deviner la poignante histoire… Tout un drame que personne ne connaît et que personne ne connaîtra jamais !

BOUGUET.

Pourquoi ne le connaîtrais-je pas ? Si vraiment, à une époque de votre vie, j’ai été l’appoint que vous dites, le camarade inconnu dont vous parlez, pourquoi ne vous demanderais-je pas le premier cette confidence ?

HERNERT, (le regardant en face.)

Peut-être, après tout ! Oui, c’est un émouvant miracle que celui auquel vous faisiez allusion tout à l’heure, la fraternité des esprits supérieurs, cette marche sourde en avant de mille têtes qui ne se connaissent pas et qui poursuivent, chacune dans sa sphère, la recherche des vérités. C’est un bataillon bien dispersé, mais, voyez, nous ne nous étions jamais parlé, et, dès que nos deux regards se sont rencontrés, il semble que nous ayons deviné en nous des ascendances communes, des affinités