Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 3, 1922.djvu/72

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l’amour de Dieu, ne vous tourmentez pas ainsi… Quoi ! vous avez fait votre devoir. Votre conscience n’a rien à vous reprocher.

NEKLUDOFF.

Ma conscience, dites-vous ?… Ah !… au fait, je peux le dire, à vous… mais ceci entre nous, n’est-ce pas ?… Je vous demanderai que personne ne sache la part que je prends dans l’affaire.

NIKHINE.

Certainement, cela va de soi.

NEKLUDOFF.

Et puis, j’ai besoin de parler. Devant ces brutes, que dire ? Eh bien, vous allez comprendre, vous, l’agitation de mon âme… Il y a, mon ami, que dans cette pauvre fille publique, cette épave, dans cette fille au visage blême, sous le fichu et le sarrau gris des prisonnières, j’ai reconnu une petite servante, une espèce de pupille — femme de chambre, qui habitait autrefois chez deux de mes tantes, il y a dix ans, et que j’ai séduite là-bas, un soir, avant de partir pour me battre, quand j’étais lieutenant à la garde.

NIKHINE.

Ah ! bien… Vous ne l’aviez pas revue depuis ?

NEKLUDOFF.

Non… La vie… la vie… Nikhine !… Je partis après lui avoir glissé un billet de cent roubles…