Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/167

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armé d’une force prédominante ; je calcule les inconvénients et les dangers, et d’après le conseil tenu dans moi-même, je souffre ou je résiste. Mais je ne puis m’en rendre complice ; je ne le puis qu’en me chargeant volontairement d’un crime. La qualité de Mandataire de l’autorité ne peut faire illusion à ma conscience : ce n’est point l’autorité que je servirois, c’est la force prédominante agissant contre le devoir et l’intérêt de l’autorité, faisant ce qu’elle doit empêcher, détruisant ce qu’elle doit opérer.

Un tel langage seroit étrange dans les nations où regne l’ignorance absolue de la loi de justice, de l’ordre de [374] bienfaisance prescrit par la nature, il n’y seroit hasardé par qui que ce soit ; mais par la même raison, le langage contraire seroit étrange dans une Nation universellement instruite, et il n’y seroit hasardé par qui que ce soit.

Vous trouveriez donc des mandataires qui se présenteroient pour être, s’il le falloit, victime des attentats médités contre la loi de justice, contre l’ordre de bienfaisance, mais qui refuseroient d’en être complices ; et vous en trouveriez d’autant plus, que l’instruction seroit plus parfaite : seconde différence.

Enfin, outre celui qui souffre usurpation et violence, et ceux qui les operent, il faut compter pour beaucoup la multitude qui en est témoin.

Dans un peuple instruit, tous les esprits seroient scandalisés, tous les cœurs seroient blessés à la vue de vos attentats ; l’opinion universelle feroit naître des sentiments qui n’existent point dans [375] la Nation ignorante et abrutie, qui ne réfléchit ni ne juge. Haine et mépris pour les auteurs et les complices des violences usurpatrices et vexatoires : compassion et intérêt pour les malheureux qui auroient souffert injustice : amour et respect pour les sages et vertueux mandataires de l’autorité, qui auroient préféré d’en être victimes avec eux plutôt que de s’en rendre coupables : troisieme différence.

Il en est une quatrieme, et ce n’est peut-être pas la moins sensible. Vous-même que j’ai supposé méchant de propos délibéré, c’est-à dire usurpateur des propriétés, et violateur des libertés ; vous même qui n’en avez pas moins dans l’esprit et dans le cœur la faculté de sentir la force de la loi naturelle, l’attrait de l’ordre bienfaisant, croyez vous que vous seriez toujours le même dans l’une et l’autre Nation ? Non, vous le croyez pas.