Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/162

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multiplie, les cris diminuent. — Ils cessent.

L’homme reparaît : « Je suis libre ! Pauvre ange, elle a dû bien souffrir ! »

Tout ceci doit être entrecoupé par le bruit lointain de l’orchestre. A la fin de l’acte, des groupes d’ivrognes et de grisettes qui chantent, — entre autres la sœur, — reviennent par la route.

Voici en peu de mots l’explication du dénouement. Notre homme a fui. — Nous sommes maintenant dans un port de mer. — Il pense à s’engager comme matelot. — Il boit effroyablement : estaminets, tavernes de matelots, musicos. — Cette idée : « Je suis libre, libre, libre ! » est devenue l’idée fixe, obsédante. « Je suis libre ! — Je suis tranquille ! — On ne saura jamais rien. » — Et comme il boit toujours, et qu’il boit effroyablement depuis plusieurs mois, sa volonté diminue toujours — et l’idée fixe finit par se faire jour par quelques paroles prononcées à voix haute. Sitôt qu’il s’en aperçoit, il cherche à s’étourdir par la boisson, par la marche , par la course ; — mais l’étrangeté de ses allures le fait remarquer. — Un homme qui court a évidemment fait quelque chose. On l’arrête ; alors, — avec une volubilité, une ardeur, une emphase extraordinaire, avec une minutie extrême, — très vite, très vite, comme s’il craignait de n’avoir pas le temps d’achever, il raconte tout son crime. — Puis, il tombe évanoui. — Des agents de police le portent dans un fiacre.

C’est bien fin, n’est-ce pas, et bien subtil ? mais il faut absolument le faire comprendre. Avouez que c’est vraiment terrible. — On peut faire reparaître la petite sœur dans une de ces maisons de débauche et de ribotte, faites pour les matelots.