Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/100

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J’ignore si quelque analogiste a établi solidement une gamme complète des couleurs et des sentiments, mais je me rappelle un passage d’Hoffmann qui exprime parfaitement mon idée, et qui plaira à tous ceux qui aiment sincèrement la nature : « Ce n’est pas seulement en rêve, et dans le léger délire qui précède le sommeil, c’est encore éveillé, lorsque j’entends de la musique, que je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons et les parfums. Il me semble que toutes ces choses ont été engendrées par un même rayon de lumière, et qu’elles doivent se réunir dans un merveilleux concert. L’odeur des soucis bruns et rouges produit surtout un effet magique sur ma personne. Elle me fait tomber dans une profonde rêverie, et j’entends alors comme dans le lointain les sons graves et profonds du hautbois[1]. »

On demande souvent si le même homme peut être à la fois grand coloriste et grand dessinateur.

Oui et non ; car il y a différentes sortes de dessins.

La qualité d’un pur dessinateur consiste surtout dans la finesse, et cette finesse exclut la touche : or il y a des touches heureuses, et le coloriste chargé d’exprimer la nature par la couleur perdrait souvent plus à supprimer des touches heureuses qu’à rechercher une plus grande austérité de dessin.

La couleur n’exclut certainement pas le grand dessin, celui de Véronèse, par exemple, qui procède sur-

  1. Kreisleriana.