Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/188

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Il est un homme qui, plus que tous ceux-là, et même que les plus célèbres absents, remplit, à mon sens, les conditions du beau dans le paysage, un homme peu connu de la foule, et que d’anciens échecs et de sourdes tracasseries ont éloigné du Salon. Il serait temps, ce me semble, que M. Rousseau, — on a déjà deviné que c’était de lui que je voulais parler, — se présentât de nouveau devant le public, que d’autres paysagistes ont habitué peu à peu à des aspects nouveaux.

Il est aussi difficile de faire comprendre avec des mots le talent de M. Rousseau que celui de Delacroix, avec lequel il a, du reste, quelques rapports. M. Rousseau est un paysagiste du Nord. Sa peinture respire une grande mélancolie : Il aime les natures bleuâtres, les crépuscules, les couchers de soleil singuliers et trempés d’eau, les gros ombrages où circulent les brises, les grands jeux d’ombres et de lumière. Sa couleur est magnifique, mais non pas éclatante. Ses ciels sont incomparables pour leur mollesse floconneuse. Qu’on se rappelle quelques paysages de Rubens et de Rembrandt, qu’on y mêle quelques souvenirs de peinture anglaise, et qu’on suppose, dominant et réglant tout cela, un amour profond et sérieux de la nature, on pourra peut-être se faire une idée de la magie de ses tableaux. Il y mêle beaucoup de son âme, comme Delacroix ; c’est un naturaliste entraîné sans cesse vers l’idéal.