la grande Odalisque dont Raphaël eût été tourmenté, la petite Odalisque cette délicieuse et bizarre fantaisie qui n’a point de précédents dans l’art ancien, et les portraits de M. Bertin, de M. Molé et de Mme d’Haussonville — de vrais portraits, c’est-à-dire la reconstruction idéale des individus ; seulement nous croyons utile de redresser quelques préjugés singuliers qui ont cours sur le compte de M. Ingres parmi un certain monde, dont l’oreille a plus de mémoire que les yeux. Il est entendu et reconnu que la peinture de M. Ingres est grise. — Ouvrez l’œil, nation nigaude, et dites si vous vîtes jamais de la peinture plus éclatante et plus voyante, et même une plus grande recherche de tons ? Dans la seconde Odalisque, cette recherche est excessive, et, malgré leur multiplicité, ils sont tous doués d’une distinction particulière. — Il est entendu aussi que M. Ingres est un grand dessinateur maladroit qui ignore la perspective aérienne, et que sa peinture est plate comme une mosaïque chinoise ; à quoi nous n’avons rien à dire, si ce n’est de comparer la Stratonice, où une complication énorme de tons et d’effets lumineux n’empêche pas l’harmonie, avec la Thamar, où M. H. Vernet a résolu un problème incroyable : faire la peinture à la fois la plus criarde et la plus obscure, la plus embrouillée ! Nous n’avons jamais rien vu de si en désordre. Une des choses, selon nous, qui distingue surtout le talent de M. Ingres, est l’amour de la femme. Son libertinage est sérieux et plein de conviction. M. Ingres n’est jamais si heureux ni si puissant que
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