Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/289

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la passion le passionne ; tout ce qu’il y a de splendeur dans l’Église l’illumine. Il verse tour à tour sur ses toiles inspirées le sang, la lumière et les ténèbres. Je crois qu’il ajouterait volontiers, comme surcroît, son faste naturel aux majestés de l’Evangile. J’ai vu une petite Annonciation, de Delacroix, où l’ange visitant Marie n’était pas seul, mais conduit en cérémonie par deux autres anges, et l’effet de cette cour céleste était puissant et charmant. Un de ses tableaux de jeunesse, le Christ aux Oliviers (« Seigneur, détournez de moi ce calice, » à Saint-Paul, rue Saint-Antoine), ruisselle de tendresse féminine et d’onction poétique. La douleur et la pompe, qui éclatent si haut dans la religion, font toujours écho dans son esprit.

Eh bien, mon cher ami, cet homme extraordinaire qui a lutté avec Scott, Byron, Goethe, Shakspeare, Arioste, Tasse, Dante et l’Evangile, qui a illuminé l’histoire des rayons de sa palette et versé sa fantaisie à flots dans nos yeux éblouis, cet homme, avancé dans le nombre de ses jours, mais marqué d’une opiniâtre jeunesse, qui depuis l’adolescence a consacré tout son temps à exercer sa main, sa mémoire et ses yeux pour préparer des armes plus sûres à son imagination, ce génie a trouvé récemment un professeur pour lui enseigner son art, dans un jeune chroniqueur dont le sacerdoce s’était jusque-là borné à rendre compte de la robe de madame une telle au dernier bal de l’Hôtel de ville. Ah ! les chevaux roses, ah ! les paysans lilas, ah ! les fumées rouges (quelle audace, une fumée rouge !), ont