Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/293

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d’une impression historique, mais d’une impression poétique, religieuse, universelle, en contemplant ces quelques hommes qui descendent soigneusement le cadavre de leur Dieu au fond d’une crypte, dans ce sépulcre que le monde adorera, « le seul, dit superbement René, qui n’aura rien à rendre à la fin des siècles ! »

Le Saint Sébastien est une merveille non pas seulement comme peinture, c’est aussi un délice de tristesse. La Montée au Calvaire est une composition compliquée, ardente et savante. « Elle devait, nous dit l’artiste qui connaît son monde, être exécutée dans de grandes proportions à Saint-Sulpice, dans la chapelle des fonts baptismaux, dont la destination a été changée. » Bien qu’il eût pris toutes ses précautions, disant clairement au public : « Je veux vous montrer le projet, en petit, d’un très-grand travail qui m’avait été confié", les critiques n’ont pas manqué, comme à l’ordinaire, pour lui reprocher de ne savoir peindre que des esquisses !

Le voilà couché sur des verdures sauvages, avec une mollesse et une tristesse féminines, le poëte illustre qui enseigna l’art d’aimer. Ses grands amis de Rome sauront-ils vaincre la rancune impériale ? Retrouvera-t-il un jour les somptueuses voluptés de la prodigieuse cité ? Non, de ces pays sans gloire s’épanchera vainement le long et mélancolique fleuve des Tristes ; ici il vivra, ici il mourra. « Un jour, ayant passé l’Ister vers son embouchure et étant un peu écarté de la troupe des chasseurs, je me trouvais à la vue des flots du Pont-Euxin. Je découvris un tombeau de pierre, sur lequel