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croissait un laurier. J’arrachai les herbes qui couvraient quelques lettres latines, et bientôt je parvins à lire ce premier vers des élégies d’un poëte infortuné :

— « Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à Rome sans moi."

« Je ne saurais vous peindre ce que j’éprouvai en retrouvant au fond de ce désert le tombeau d’Ovide. Quelles tristes réflexions ne fis-je point sur les peines de l’exil, qui étaient aussi les miennes, et sur l’inutilité des talents pour le bonheur ! Rome, qui jouit aujourd’hui des tableaux du plus ingénieux de ses poëtes, Rome a vu couler vingt ans, d’un œil sec, les larmes d’Ovide. Ah ! moins ingrats que les peuples d’Ausonie, les sauvages habitants des bords de l’Ister se souviennent encore de l’Orphée qui parut dans leurs forêts ! Ils viennent danser autour de ses cendres ; ils ont même retenu quelque chose de son langage : tant leur est douce la mémoire de ce Romain qui s’accusait d’être le barbare, parce qu’il n’était pas entendu du Sarmate ! »

Ce n’est pas sans motif que j’ai cité, à propos d’Ovide, ces réflexions d’Eudore. Le ton mélancolique du poëte des Martyrs s’adapte à ce tableau, et la tristesse languissante du prisonnier chrétien s’y réfléchit heureusement. Il y a là l’ampleur de touche et de sentiments qui caractérisait la plume qui a écrit les Natchez ; et je reconnais, dans la sauvage idylle d’Eugène Delacroix, une histoire parfaitement belle parce qu’il y a mis la fleur du désert, la grâce de la cabane et une simplicité à conter la douleur que je ne me flatte pas d’avoir con-