Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord ce qui se faisait voir, mais aussi deviner ce qui se cachait. Je le comparais tout à l’heure à l’historien, je pourrais aussi le comparer au comédien, qui par devoir adopte tous les caractères et tous les costumes. Rien, si l’on veut bien examiner la chose, n’est indifférent dans un portrait. Le geste, la grimace, le vêtement, le décor même, tout doit servir à représenter un caractère. De grands peintres, et d’excellents peintres, David, quand il n’était qu’un artiste du dix-huitième siècle et après qu’il fut devenu un chef d’école, Holbein, dans tous ses portraits, ont visé à exprimer avec sobriété mais avec intensité le caractère qu’ils se chargeaient de peindre. D’autres ont cherché à faire davantage ou à faire autrement. Reynolds et Gérard ont ajouté l’élément romanesque, toujours en accord avec le naturel du personnage ; ainsi un ciel orageux et tourmenté, des fonds légers et aériens, un mobilier poétique, une attitude alanguie, une démarche aventureuse, etc… C’est là un procédé dangereux, mais non pas condamnable, qui malheureusement réclame du génie. Enfin, quel que soit le moyen le plus visiblement employé par l’artiste, que cet artiste soit Holbein, David, Velasquez ou Lawrence, un bon portrait m’apparaît toujours comme une biographie dramatisée, ou plutôt comme le drame naturel inhérent à tout homme. D’autres ont voulu restreindre les moyens. Etait-ce par impuissance de les employer tous ? était-ce dans l’espérance d’obtenir une plus grande intensité d’expression ? Je ne sais ; ou plutôt je serais incliné à croire qu’en ceci,