Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/326

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comme en bien d’autres choses humaines, les deux raisons sont également acceptables. Ici, mon cher ami, je suis obligé, je le crains fort de toucher à une de vos admirations. Je veux parler de l’école d’Ingres en général, et en particulier de sa méthode appliquée au portrait. Tous les élèves n’ont pas strictement et humblement suivi les préceptes du maître, tandis que M. Amaury-Duval outrait courageusement l’ascétisme de l’école, M. Lehmann essayait quelquefois de faire pardonner la genèse de ses tableaux par quelques mixtures adultères. En somme on peut dire que l’enseignement a été despotique, et qu’il a laissé dans la peinture française une trace douloureuse. Un homme plein d’entêtement, doué de quelques facultés précieuses, mais décidé à nier l’utilité de celles qu’il ne possède pas, s’est attribué cette gloire extraordinaire, exceptionnelle, d’éteindre le soleil. Quant à quelques tisons fumeux, encore égarés dans l’espace, les disciples de l’homme se sont chargés de piétiner dessus. Exprimée par ces simplificateurs, la nature a paru plus intelligible ; cela est incontestable ; mais combien elle est devenue moins belle et moins excitante, cela est évident. Je suis obligé de confesser que j’ai vu quelques portraits peints par MM. Flandrin et Amaury-Duval, qui, sous l’apparence fallacieuse de peinture, offraient d’admirables échantillons de modelé. J’avouerai même que le caractère visible de ces portraits, moins tout ce qui est relatif à la couleur et à la lumière, était vigoureusement et soigneusement exprimé, d’une manière