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estampes, il a dû être content ; il a retrouvé, dignement représentée, sa


Morne Isis, couverte d’un voile !
Araignée à l’immense toile,
Où se prennent les nations !
Fontaine d’urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée,
Où, pour se nourrir de l’idée,
Viennent les générations !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ville qu’un orage enveloppe !

Mais un démon cruel a touché le cerveau de M. Meryon ; un délire mystérieux a brouillé ces facultés qui semblaient aussi solides que brillantes. Sa gloire naissante et ses travaux ont été soudainement interrompus. Et depuis lors nous attendons toujours avec anxiété des nouvelles consolantes de ce singulier officier, qui était devenu en un jour un puissant artiste, et qui avait dit adieu aux solennelles aventures de l’Océan pour peindre la noire majesté de la plus inquiétante des capitales[1].

Je regrette encore, et j’obéis peut-être à mon insu aux accoutumances de ma jeunesse, le paysage romantique, et même le paysage romanesque qui existait déjà au dix-huitième siècle. Nos paysagistes sont des animaux beaucoup trop herbivores. Ils ne se nourrissent pas volontiers des ruines, et, sauf un petit nombre d’hommes tels que Fromentin, le ciel et le désert les épouvantent. Je regrette ces grands lacs qui représentent l’im-

  1. Charles Méryon est mort en mars 1968.