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mobilité dans le désespoir, les immenses montagnes, escaliers de la planète vers le ciel, d’où tout ce qui paraissait grand paraît petit, les châteaux forts (oui, mon cynisme ira jusque-là), les abbayes crénelées qui se mirent dans les mornes étangs, les ponts gigantesques, les constructions ninivites, habitées par le vertige, et enfin tout ce qu’il faudrait inventer, si tout cela n’existait pas !

Je dois confesser en passant que, bien qu’il ne soit pas doué d’une originalité de manière bien décidée, M. Hildebrandt, par son énorme exposition d’aquarelles, m’a causé un vif plaisir. En parcourant ces amusants albums de voyage il me semble toujours que je revois, que je reconnais ce que je n’ai jamais vu. Grâce à lui, mon imagination fouettée s’est promenée à travers trente-huit paysages romantiques, depuis les remparts sonores de la Scandinavie jusqu’aux pays lumineux des ibis et des cigognes, depuis le Fiord de Séraphitus jusqu’au pic de Ténériffe. La lune et le soleil ont tour à tour illuminé ces décors, l’un versant sa tapageuse lumière, l’autre ses patients enchantements.

Vous voyez, mon cher ami, que je ne puis jamais considérer le choix du sujet comme indifférent, et que, malgré l’amour nécessaire qui doit féconder le plus humble morceau, je crois que le sujet fait pour l’artiste une partie du génie, et pour moi, barbare malgré tout, une partie du plaisir. En somme, je n’ai trouvé parmi les paysagistes que des talents sages ou petits, avec une très-grande paresse d’imagination. Je n’ai