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élançons-nous ! Et ils s’élancent à travers l’œuvre fantastique, qui, à proprement parler, ne commence que là, c’est-à-dire sur la frontière du merveilleux.

Harlequin et Colombine, à la faveur de ce délire, se sont enfuis en dansant, et d’un pied léger ils vont courir les aventures.

Encore un exemple : celui-là est tiré d’un auteur singulier, esprit très-général, quoi qu’on en dise, et qui unit à la raillerie significative française la gaieté folle, mousseuse et légère des pays du soleil, en même temps que le profond comique germanique. Je veux encore parler d’Hoffmann.

Dans le conte intitulé : Daucus Carota, le Roi des Carottes, et par quelques traducteurs la Fiancée du roi, quand la grande troupe des Carottes arrive dans la cour de la ferme où demeure la fiancée, rien n’est plus beau à voir. Tous ces petits personnages d’un rouge écarlate comme un régiment anglais, avec un vaste plumet vert sur la tête comme les chasseurs de carrosse, exécutent des cabrioles et des voltiges merveilleuses sur de petits chevaux. Tout cela se meut avec une agilité surprenante. Ils sont d’autant plus adroits et il leur est d’autant plus facile de retomber sur la tête, qu’elle est plus grosse et plus lourde que le reste du corps, comme les soldats en moelle de sureau qui ont un peu de plomb dans leur shako.

La malheureuse jeune fille, entichée de rêves de grandeur, est fascinée par ce déploiement de forces militaires. Mais qu’une armée à la parade est diffé-