Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/392

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rente d’une armée dans ses casernes, fourbissant ses armes, astiquant son fourniment, ou, pis encore, ronflant ignoblement sur ses lits de camps puants et sales ! Voilà le revers de la médaille ; car tout ceci n’était que sortilége, appareil de séduction. Son père, homme prudent et bien instruit dans la sorcellerie, veut lui montrer l’envers de toutes ces splendeurs. Ainsi, à l’heure où les légumes dorment d’un sommeil brutal, ne soupçonnant pas qu’ils peuvent être surpris par l’œil d’un espion, le père entr’ouvre une des tentes de cette magnifique armée ; et alors la pauvre rêveuse voit cette masse de soldats rouges et verts dans leur épouvantable déshabillé, nageant et dormant dans la fange terreuse d’où elle est sortie. Toute cette splendeur militaire en bonnet de nuit n’est plus qu’un marécage infect.

Je pourrais tirer de l’admirable Hoffmann bien d’autres exemples de comique absolu. Si l’on veut bien comprendre mon idée, il faut lire avec soin Daucus Carota, Peregrinus Tyss, le Pot d’or, et surtout, avant tout, la Princesse Brambilla, qui est comme un catéchisme de haute esthétique.

Ce qui distingue très-particulièrement Hoffmann est le mélange involontaire, et quelquefois très-volontaire, d’une certaine dose de comique significatif avec le comique le plus absolu. Ses conceptions comiques les plus supra-naturelles, les plus fugitives, et qui ressemblent souvent à des visions de l’ivresse, ont un sens moral très-visible : c’est à croire qu’on a affaire à un