Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/411

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maladive et tortillée comme un serpent, et la pomme d’Adam, osseuse et pointue ! Décidément, on n’a pas le courage d’en vouloir à ce pauvre diable d’aller fuir sous l’eau le spectacle de la civilisation. Dans le fond, de l’autre côté de la rivière, un bourgeois contemplatif, au ventre rondelet, se livre aux délices innocentes de la pêche.

Figurez-vous un coin très-retiré d’une barrière inconnue et peu passante, accablée d’un soleil de plomb. Un homme d’une tournure assez funèbre, un croque-mort ou un médecin, trinque et boit chopine sous un bosquet sans feuilles, un treillis de lattes poussiéreuses, en tête-à-tête avec un hideux squelette. A côté est posé le sablier et la faux. Je ne me rappelle pas le titre de cette planche. Ces deux vaniteux personnages font sans doute un pari homicide ou une savante dissertation sur la mortalité.

Daumier a éparpillé son talent en mille endroits différents. Chargé d’illustrer une assez mauvaise publication médico-poétique, la Némésis médicale, il fit des dessins merveilleux. L’un d’eux, qui a trait au choléra, représente une place publique inondée, criblée de lumière et de chaleur. Le ciel parisien, fidèle à son habitude ironique dans les grands fléaux et les grands remue-ménages politiques, le ciel est splendide ; il est blanc, incandescent d’ardeur. Les ombres sont noires et nettes. Un cadavre est posé en travers d’une porte. Une femme rentre précipitamment en se bouchant le nez et la bouche. La place est déserte et brûlante, plus déso-