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manteau de glace recouvrant une pudique sensibilité et une ardente passion pour le bien et pour le beau ; c’était, sous la même hypocrisie d’égoïsme, le même dévouement aux amis secrets et aux idées de prédilection.

Il y avait dans Eugène Delacroix beaucoup du sauvage ; c’était là la plus précieuse partie de son âme, la partie vouée tout entière à la peinture de ses rêves et au culte de son art. Il y avait en lui beaucoup de l’homme du monde ; cette partie-là était destinée à voiler la première et à la faire pardonner. Ç’a été, je crois, une des grandes préoccupations de sa vie, de dissimuler les colères de son cœur et de n’avoir pas l’air d’un homme de génie. Son esprit de domination, esprit bien légitime, fatal d’ailleurs, avait presque entièrement disparu sous mille gentillesses. On eût dit un cratère de volcan artistement caché par des bouquets de fleurs.

Un autre trait de ressemblance avec Stendhal était sa propension aux formules simples, aux maximes brèves, pour la bonne conduite de la vie. Comme tous les gens d’autant plus épris de méthode que leur tempérament ardent et sensible semble les en détourner davantage, Delacroix aimait à façonner de ces petits catéchismes de morale pratique que les étourdis et les fainéants qui ne pratiquent rien attribueraient dédaigneusement à M. de la Palisse, mais que le génie ne méprise pas, parce qu’il est apparenté avec la simplicité ; maximes saines, fortes, simples et dures, qui servent de cuirasse et de bouclier à celui que la fata-