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IX

LECONTE DE LISLE




Je me suis souvent demandé, sans pouvoir me répondre, pourquoi les créoles n’apportaient, en général, dans les travaux littéraires, aucune originalité, aucune force de conception ou d’expression. On dirait des âmes de femmes, faites uniquement pour contempler et pour jouir. La fragilité même, la gracilité de leurs formes physiques, leurs yeux de velours qui regardent sans examiner, l’étroitesse singulière de leurs fronts, emphatiquement hauts, tout ce qu’il y a souvent en eux de charmant les dénonce comme des ennemis du travail et de la pensée. De la langueur, de la gentillesse, une faculté naturelle d’imitation qu’ils partagent d’ailleurs avec les nègres, et qui donne presque toujours à un poëte créole, quelle que soit sa distinction, un certain air provincial, voilà ce que nous avons pu observer généralement dans les meilleurs d’entre eux.

M. Leconte de Lisle est la première et l’unique exception que j’aie rencontrée. En supposant qu’on en