Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/397

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puisse trouver d’autres, il restera, à coup sûr, la plus étonnante et la plus vigoureuse. Si des descriptions, trop bien faites, trop enivrantes pour n’avoir pas été moulées sur des souvenirs d’enfance, ne révélaient pas de temps en temps à l’œil du critique l’origine du poëte il serait impossible de découvrir qu’il a reçu le jour dans une de ces îles volcaniques et parfumées, où l’âme humaine, mollement bercée par toutes les voluptés de l’atmosphère, désapprend chaque jour l’exercice de la pensée. Sa personnalité physique même est un démenti donné à l’idée habituelle que l’esprit se fait d’un créole. Un front puissant, une tête ample et large, des yeux clairs et froids, fournissent tout d’abord l’image de la force. Au-dessous de ces traits dominants, les premiers qui se laissent apercevoir, badine une bouche souriante animée d’une incessante ironie. Enfin, pour compléter le démenti au spirituel comme au physique, sa conversation, solide et sérieuse, est toujours, à chaque instant, assaisonnée par cette raillerie qui confirme la force. Ainsi non-seulement il est érudit, non-seulement il a médité, non-seulement il a cet œil poétique qui sait extraire le caractère poétique de toutes choses, mais encore il a de l’esprit, qualité rare chez les poëtes ; de l’esprit dans le sens populaire et dans le sens le plus élevé du mot. Si cette faculté de raillerie et de bouffonnerie n’apparaît pas (distinctement, veux-je dire) dans ses ouvrages poétiques, c’est parce qu’elle veut se cacher, parce qu’elle a compris que c’était son devoir de se cacher. Leconte de Lisle étant un vrai poëte, sérieux