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notre rigide climat, une température équatoriale, et où l’œil était tout d’abord frappé par une solennité sobre et par l’austérité particulière de la vieille école. Tels, dans notre enfance, nous avions vu les ateliers des anciens rivaux de David, héros touchants depuis longtemps disparus. On sentait bien que cette retraite ne pouvait pas être habitée par un esprit frivole, titillé par mille caprices incohérents.

Là, pas de panoplies rouillées, pas de kriss malais, pas de vieilles ferrailles gothiques, pas de bijouterie, pas de friperie, pas de bric-à-brac, rien de ce qui accuse dans le propriétaire le goût de l’amusette et le vagabondage rhapsodique d’une rêverie enfantine. Un merveilleux portrait par Jordaens, qu’il avait déniché je ne sais où, quelques études et quelques copies faites par le maître lui-même, suffisaient à la décoration de ce vaste atelier, dont une lumière adoucie et apaisée éclairait le recueillement.

On verra probablement ces copies à la vente des dessins et des tableaux de Delacroix, qui est, m’a-t-on dit, fixée au mois de janvier prochain. Il avait deux manières très-distinctes de copier ; l’une, libre et large, faite moitié de fidélité, moitié de trahison, et où il mettait beaucoup de lui-même. De cette méthode résultait un composé bâtard et charmant, jetant l’esprit dans une incertitude agréable. C’est sous cet aspect paradoxal que m’apparut une grande copie des Miracles de saint Benoît, de Rubens. Dans l’autre manière, Delacroix se fait l’esclave le plus obéissant et le plus