Entre temps d’ailleurs il avait appelé au secours de son spleen, comme Faust le Diable, tous les poisons de la pharmaceutique maudite. Toujours pour échapper à l’étreinte de l’horrible réalité, pour en perdre conscience dans des sensations encore ignorées,
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
Par méthode aussi peut-être, en vertu de cette même conscience professionnelle qui pousse l’inventeur d’un virus à en vérifier l’effet sur sa propre substance. Ce livre admirable qui s’appelle Les Paradis artificiels n’est pas sorti que de la lecture des Enchantements et tortures d’un mangeur d’opium ; on sait aujourd’hui, par les aveux de sa correspondance, que c’est du fruit de ses expériences personnelles beaucoup trop hardies, que Baudelaire a grossi l’ouvrage justement fameux de Thomas de Quincey.
Mais ce n’est pas impunément qu’on s’insurge contre la
Nature. Elle ne tolère pas qu’on fuie la rigueur de ses lois,
elle ne distingue pas entre les motifs, et, dans ses impitoyables
sanctions, traite le génie sans plus de ménagements
que l’ilote. À quarante ans, le délabrement physique,
chez Baudelaire, s’avérait précoce, et quant à son âme,
cette âme où il s’était appliqué à déchaîner toutes les forces
contraires et dont il ne pouvait plus se libérer pour s’être
trop passionné à en épier les convulsions, il la traînait
comme un boulet.
Quelque étrange qu’il puisse paraître à beaucoup de gens qui n’ont retenu des Fleurs du Mal que certaines pièces particulièrement osées, et malgré les propos cyniques qu’on lui a souvent prêtés, Baudelaire était un moraliste, et même rigoureux. Ce n’est pas hasard ni précaution si.