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Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal 1857.djvu/109

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Mille pensers dormaient, — chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres, —
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d’azur, — glacés de rose, — lamés d’or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l’air troublé ; — les yeux se ferment ; le vertige
Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre où l’air est plein de parfums humains.

Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,
Où, — Lazare odorant déchirant son suaire, —
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, — dans le coin d’une sinistre armoire
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence !
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges ! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !