Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/142

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avec l’inexplicable malaise moral que j’ai emporté hier soir de chez vous.

manque absolu de pudeur.

C’est pour cela que tu m’es encore plus chère.

il me semble que je suis à toi depuis le premier jour où je t’ai vu. Tu en feras ce que tu voudras, mais je suis à toi, de corps, d’esprit et de cœur.

Je t’engage à bien cacher cette lettre, malheureuse ! — Sais-tu réellement ce que tu dis ? Il y a des gens pour mettre en prison ceux qui ne paient pas leurs lettres de change, mais les serments de l’amitié et de l’amour, personne n’en punit la violation.

Aussi je t’ai dit hier : Vous m’oublierez, vous me trahirez ; celui qui vous amuse vous ennuiera. — Et j’ajoute aujourd’hui : Celui-là seul souffrira qui, comme un imbécile, prend au sérieux les choses de l’âme. — Vous voyez, ma bien belle chérie, que j’ai d'odieux préjugés à l’endroit des femmes. — Bref, je n’ai pas la foi. — Vous avez l’âme belle, mais en somme c’est une âme féminine.

Voyez comme en peu de jours notre situation a été bouleversée. D’abord, nous sommes tous les deux possédés de la peur d’affliger un honnête homme qui a le bonheur d’être toujours amoureux. Ensuite, nous avons peur de notre propre orage, parce que nous savons (moi surtout) qu’il y a des nœuds difficiles à délier.

Et enfin, enfin, il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, ce qui est si