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434 CHAULES BAUDELAIRE

humeur nécessaire, même pour traiter des sujets tristes), une excitation bizarre qui a besoin de spectacles, de foules, de musiques, de réverbères même, voilà ce que j’ai voulu faire ! Je n’en suis qu’à soixante^ et je ne peux plus aller. J’ai besoin de ce fameux bain de multitude àowi l’incorrection vous avait justement choqué.

Monselet est venu ici. J’ai lu votre article. J’ai admiré votre souplesse et votre aptitude à entrer dans l’âme de tous les talents. Mais, à ce talent-là, il manque quelque chose que je ne saurais définir. Monselet est allé à Anvers, où il y a des choses ma- gnifiques, surtout des échantillons de ce monstrueux style jésuitique qui me plaît si fort, et que je ne connaissais guère que par la chapelle du collège de Lyon, qui est faite avec des marbres de diverses couleurs. Anvers a un musée d’une nature très spé- ciale, plein de choses inattendues, même pour ceux qui savent remettre l’école flamande à sa vraie place. Enfin, cette ville a un grand air solennel de vieille capitale, augmenté par un grand fleuve. Je crois que ce brave garçon n’a rien vu de tout cela. Il n’a vu qu’une grosse friture qu’il est allé manger de l’autre côté de l’Escaut. C’est d’ailleurs un homme charmant.

Décidément, je vous félicite de tout mon cœur. Vous voilà maintenant l’égal (officiellement) de beaucoup de gens médiocres. Peu m’importe. Vous en aviez envie, n’est-ce pas ? besoin peut-être ? Vous êtes content, donc je suis heureux.

Tout à vous.