Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/442

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

438 CHARLES BAUDELAIRE

Je suis bien aise que vous souffriez un peu de temps en temps. — Passez par la fournaise, cha- cun y gagne ; je ne pousserai pas la brutalité jus- qu’à vous dire, comme ce butor de V, que, si vous soiiJfres,cest que vous avez péché ! Je crois qu’il est bon que les innocents souffrent. Je suis bien peu galant, n’est-ce pas ? et j’ose écrire à une femme, sans assaisonner ma lettre de galanteries et de fadaises. Combien de fois, vous trouvant si gentille, si gracieuse et si bonne, ai-je eu envie de vous sauter au cou et de vous embrasser ? Mais cela n’eût pas été convenable ; yous connaissez mon respect pour le convenable ; et puis, pour achever ma confession, je me suis dit : Elle est femme ; donc, elle ne comprendra pas le sens de mon em- brassade. Ouf ! ceci étant dit, je n’en parlerai plus jamais.

Quand vous verrez Manet, dites-lui ce que je vous dis, que la petite ou la grande fournaise, que la raillerie, que l’insulte, que l’injustice sont des choses excellentes, et qu’il serait ingrat, s’il ne remerciait l’injustice. Je sais bien qu’il aura quel- que peine à comprendre ma théorie ; les peintres veulent toujours des succès immédiats ; mais, vraiment, Manet a des facultés si brillantes et si légères qu’il serait malheureux qu’il se décourageât. Jamais il ne comblera absolument les lacunes de son tempérament Mais il a un tempérament, c’est l’important ; et il n’a pas l’air de se douter que, plus l’injustice augmente, plus la situation s’amé- liore, — à condition qu’il ne perde pas la tête ; (vous