Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/46

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parti est pris de me donner à vous, pour toujours.

Savez-vous que notre longue conversation de jeudi a été fort singulière ? C’est cette même conversation qui m’a laissé dans un état nouveau et qui est l’occasion de cette lettre.

Un homme qui dit : Je vous aime, et qui prie, et une femme qui répond : Vous aimer ? Moi ! jamais ! Un seul a mon amour, malheur à celui qui viendrait après lui : il n’obtiendrait que mon indifférence et mon mépris. Et ce même homme, pour avoir le plaisir de regarder plus longtemps dans vos yeux, vous laisse lui parler d’un autre, ne parler que de lui, ne vous enflammer que pour lui, et en pensant à lui. Il est résulté pour moi de tous ces aveux un fait bien singulier, c’est que, pour moi, vous n’êtes plus simplement une femme que l’on désire, mais une femme que l’on aime pour sa franchise, pour sa passion, pour sa verdeur, pour sa jeunesse et pour sa folie.

J’ai beaucoup perdu à ces explications, puisque vous avez été si décisive que j’ai dû me soumettre de suite. Mais vous, Madame, vous y avez beaucoup gagné : vous m’avez inspiré du respect et une estime profonde. Soyez toujours ainsi, et gardez-la bien, cette passion qui vous rend si belle, et si heureuse.

Revenez, je vous en supplie, et je me ferai doux et modeste dans mes désirs. Je méritais d’être méprisé de vous, quand je vous ai répondu que je me contenterais de miettes. Je mentais. Oh ! si vous saviez comme vous étiez belle, ce soir-là ! Je