Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/69

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timide ? — Je n’en sais rien du tout. — J’ai si peur de vous que je vous ai toujours caché mon nom, pensant qu’une adoration anonyme, — ridicule évidemment pour toutes les brutes matérielles mondaines que nous pourrions consulter à ce sujet, — était après tout à peu près innocente, — ne pouvait rien troubler, rien déranger, et était infiniment supérieure en moralité à une poursuite niaise, vaniteuse, à une attaque directe contre une femme qui a ses affections placées — et peut-être ses devoirs. N’êtes-vous pas, — et je le dis avec un peu d’orgueil, — non seulement une des plus aimées, — mais aussi la plus profondément respectée de toutes les créatures ? — Je veux vous en donner une preuve. — Riez-en, beaucoup, si cela vous amuse, — mais n’en parlez pas. — Ne trouvez-vous pas naturel, simple, humain, que l’homme bien épris haïsse l’amant heureux, le possesseur ? — Qu’il le trouve inférieur, choquant ? — Eh bien, il y a quelque temps, le hasard m’a fait rencontrer celui-là ; — comment vous exprimerai-je, — sans comique, sans faire rire votre méchante figure, toujours pleine de gaieté, — combien j’ai été heureux de trouver un homme aimable, un homme qui pût vous plaire. — Mon Dieu ! tant de subtilités n’accusent-elles pas la déraison ? — Pour en finir, pour vous expliquer mes silences et mes ardeurs, ardeurs presque religieuses, je vous dirai que quand mon être est roulé dans le noir de sa méchanceté et de sa sottise naturelles, il rêve profondément de vous. De cette rêverie excitante et purifiante naît généra-