Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/93

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maison de prostitution, et pour y mettre en même temps une espèce de musée médical. En effet, me dis-je soudainement, c’est Le Siècle qui a fait les fonds de cette spéculation de b, et le musée médical s’explique par sa manière de progrès, de science, de diffusion des lumières. — Alors, je réfléchis que la bêtise et la sottise modernes ont leur utilité mystérieuse, et que, souvent, ce qui a été fait pour le mal, par une mécanique spirituelle, tourne pour le bien. J’admire en moi-même la justesse de mon esprit philosophique.

Mais, parmi tous ces êtres, il y en a un qui a vécu. C’est un monstre né dans la maison, et qui se tient éternellement sur un piédestal. Quoique vivant, il fait donc partie du musée. Il n’est pas laid. Sa figure est même jolie, très basanée, d’une couleur orientale. Il y a en lui beaucoup de rose et de vert. Il se tient accroupi, mais dans une position bizarre et contournée. Il y a de plus quelque chose de noirâtre qui tourne plusieurs fois autour de lui, et autour de ses membres, comme un gros serpent. Je lui demande ce que c’est ; il me dit que c’est un appendice monstrueux qui lui « part de la tête, quelque chose d’élastique comme du caoutchouc, et si long, si long, que, s’il le roulait sur sa tête comme une queue de cheveux, cela serait beaucoup trop lourd, et absolument impossible à porter ; — que, dès lors, il est obligé de le rouler autour de ses membres, ce qui, d’ailleurs, fait un plus bel effet. Je cause longuement avec le monstre. Il me fait part de ses ennuis et de ses chagrins.