Page:Baudelaire - Lettres 1841-1866.djvu/94

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

Voilà plusieurs années qu’il est obligé de se tenir dans cette salle, sur ce piédestal, pour la curiosité du public. Mais son principal ennui, c’est à l’heure du souper. Etant un être vivant, il est obligé de souper avec les filles de l’établissement, — de marcher en chancelant, avec son appendice de caout- chouc, jusqu’à la salle du souper, — où il lui faut le garder roulé autour de lui, ou le placer comme un paquet de cordes sur une chaise, car, s’il le laissait traîner par terre, cela lui renverserait la tète en arrière.

De plus, il est obligé, lui, petit et ramassé, de manger à côté d’une fille grande et bien faite. — Il me donne du reste toutes ces explications sans amertume. — Je n’ose pas le toucher, — mais je m’intéresse à lui.

En ce moment, — (ceci n’est plus du rêve), — ma femme fait du bruit avec un meuble dans la chambre, ce qui me réveille. — Je me réveille fatigué, brisé, moulu par le dos, les jambes, et les hanches. — Je présume que je dormais dans la position contournée du monstre.

J’ignore si tout cela vous paraîtra aussi drôle qu’à moi. Le bon Minot serait fort empêché, je présume, d’y trouver une adaptation morale.

Tout à vous.

A SAINTE-BEUVE

19 Mars i856.

Voici, mon cher protecteur, un genre de littéra-