Page:Baudelaire - Notice sur Pierre Dupont, 1851.djvu/9

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la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis et des vomissements du bagne ; de cette multitude soupirante et languissante à qui la terre doit ses merveilles ; qui sent un sang vermeil et impétueux couler dans ses veines ; qui jette un long regard chargé de tristesse sur le soleil et l’ombre des grands parcs, et qui, pour suffisante consolation et recomfort, répète à tue-tête son refrain sauveur : Aimons-nous !…

Dès lors, la destinée de Dupont était faite : il n’avait plus qu’à marcher dans la voie découverte. Raconter les joies, les douleurs et les dangers de chaque métier, et éclairer tous ces aspects particuliers et tous ces horizons divers de la souffrance et du travail humain par une philosophie consolatrice, tel était le devoir qui lui incombait, et qu’il accomplit patiemment. Il viendra un temps où les accents de cette Marseillaise du travail circuleront comme un mot d’ordre maçonnique, et où l’exilé, l’abandonné, le voyageur perdu, soit sous le ciel dévorant des tropiques, soit dans les déserts de neige, quand il entendra cette forte mélodie parfumer l’air de sa senteur originelle,

Nous dont la lampe le matin
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume,
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pourra dire : Je n’ai plus rien à craindre, je suis en France ! La Révolution de Février activa cette floraison impatiente, et augmenta les vibrations de la corde populaire : tous les malheurs et toutes les espérances de la Révolution firent écho dans la poésie de Pierre Dupont. Cependant la muse pastorale ne perdit pas ses droits, et à mesure qu’on avance dans son œuvre, on voit toujours, on entend toujours, comme au sein des chaînes tourmentées de montagnes orageuses à côté de la route banale et agitée, bruire doucement et reluire la fraîche source primitive qui filtre des hautes neiges :


 Entendez vous au creux du val
Ce long murmure qui serpente ?
Est-ce une flûte de cristal !
Non, c’est la voix de l’eau qui chante.


L’œuvre du poète se divise naturellement en trois parties, les pastorales, les chants politiques et socialistes, et quelques chants symboliques qui sont comme la philosophie de l’œuvre. Cette partie est peut-être la plus personnelle ; c’est le développement d’une philosophie un peu ténébreuse, une espèce de mysticité amoureuse. L’optimisme de Dupont, sa confiance illimitée dans la bonté native de