Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/274

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naturel, dégagé de toutes les amertumes qui avaient occasionnellement corrompu son noble tempérament. Enfin, quelque grands que soient les bénéfices du vin, on peut dire qu’il frise souvent la folie ou, tout au moins, l’extravagance, et qu’au-delà d’une certaine limite il volatilise, pour ainsi dire, et disperse l’énergie intellectuelle ; tandis que l’opium semble toujours apaiser ce qui a été agité et concentrer ce qui a été disséminé. En un mot, c’est la partie purement humaine, trop souvent même la partie brutale de l’homme, qui, par l’auxiliaire du vin, usurpe la souveraineté, au lieu que le mangeur d’opium sent pleinement que la partie épurée de son être et ses affections morales jouissent de leur maximum de souplesse, et, avant tout, que son intelligence acquiert une lucidité consolante et sans nuages.

L’auteur nie également que l’exaltation intellectuelle produite par l’opium soit nécessairement suivie d’un abattement proportionnel, et que l’usage de cette drogue engendre, comme conséquence naturelle et immédiate, une stagnation et une torpeur des facultés. Il affirme que pendant un espace de dix ans il a toujours joui, dans la journée qui suivait sa débauche, d’une remarquable santé intellectuelle. Quant à cette torpeur, dont tant d’écrivains ont parlé, et à laquelle a surtout fait croire l’abrutissement des Turcs, il affirme ne l’avoir jamais connue. Que l’opium, conformément à la qualification sous laquelle il est rangé, agisse vers la fin comme narcotique, cela est possible ;