Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/290

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comme un exilé, chassé du territoire du bonheur commun, car il est arrivé maintenant à « une Iliade de calamités, il est arrivé aux tortures de l’opium. » Sombre époque, vaste réseau de ténèbres, déchiré à intervalles par de riches et accablantes visions ;

C’était comme si un grand peintre eût trempé
Son pinceau dans la noirceur du tremblement de terre et de l’éclipse.

Ces vers de Shelley, d’un caractère si solennel et si véritablement miltonien, rendent bien la couleur d’un paysage opiacé, s’il est permis de parler ainsi ; c’est bien là le ciel morne et l’horizon imperméable qui enveloppent le cerveau asservi par l’opium. L’infini dans l’horreur et dans la mélancolie, et, plus mélancolique que tout, l’impuissance de s’arracher soi-même au supplice !

Avant d’aller plus loin, notre pénitent (nous pourrions de temps en temps l’appeler de ce nom, bien qu’il appartienne, selon toute apparence, à une classe de pénitents toujours prêts à retomber dans leur péché) nous avertit qu’il ne faut pas chercher un ordre très-rigoureux dans cette partie de son livre, un ordre chronologique du moins. Quand il l’écrivit, il était seul à Londres, incapable de bâtir un récit régulier avec des amas de souvenirs pesants et répugnants, et exilé loin des mains amies qui savaient classer ses papiers et avaient coutume de lui rendre tous les services d’un secrétaire. Il écrit sans précaution, presque