Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mer en rideaux et en oreillers blancs, sur lesquels reposaient des têtes d’enfants, souffrants, pleurants, mourants. Ces lits peu à peu s’élevaient au ciel et remontaient vers le Dieu qui a tant aimé les enfants. Plus tard, longtemps après, trois passages du service funèbre, qu’il avait entendus certainement, mais qu’il n’avait peut-être pas écoutés ou qui avaient révolté sa douleur par leurs trop âpres consolations, se représentèrent à sa mémoire, avec leur sens mystérieux et profond, parlant de délivrance, de résurrection et d’éternité, et devinrent pour lui un thème fréquent de méditation. Mais, bien avant cette époque, il s’éprit pour la solitude de ce goût violent que montrent toutes les passions profondes, surtout celles qui ne veulent pas être consolées. Les vastes silences de la campagne, les étés criblés d’une lumière accablante, les après-midi brumeuses, le remplissaient d’une dangereuse volupté. Son œil s’égarait dans le ciel et dans le brouillard à la poursuite de quelque chose d’introuvable, il scrutait opiniâtrément les profondeurs bleues pour y découvrir une image chérie, à qui peut-être, par un privilége spécial, il avait été permis de se manifester une fois encore. C’est à mon très-grand regret que j’abrége la partie, excessivement longue, qui contient le récit de cette douleur profonde, sinueuse, sans issue, comme un labyrinthe. La nature entière y est invoquée, et chaque objet y devient à son tour représentatif de l’idée unique. Cette douleur, de temps à autre, fait pousser des fleurs lugubres et coquettes, à la fois