Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/334

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tristes et riches ; ses accents funèbrement amoureux se transforment souvent en concetti. Le deuil lui-même n’a-t-il pas ses parures ? Et ce n’est pas seulement la sincérité de cet attendrissement qui émeut l’esprit ; il y a aussi pour le critique une jouissance singulière et nouvelle à voir s’épanouir ici cette mysticité ardente et délicate qui ne fleurit généralement que dans le jardin de l’Église romaine. — Enfin une époque arriva, où cette sensibilité morbide, se nourrissant exclusivement d’un souvenir, et ce goût immodéré de la solitude, pouvaient se transformer en un danger positif ; une de ces époques décisives, critiques, où l’âme désolée se dit : « Si ceux que nous aimons ne peuvent plus venir à nous, qui nous empêche d’aller à eux ? » où l’imagination, obsédée, fascinée, subit avec délices les sublimes attractions du tombeau. Heureusement l’âge était venu du travail et des distractions forcées. Il lui fallait endosser le premier harnais de la vie et se préparer aux études classiques.

Dans les pages suivantes, cependant plus égayées, nous trouvons encore le même esprit de tendresse féminine appliqué maintenant aux animaux, ces intéressants esclaves de l’homme, aux chats, aux chiens, à tous les êtres qui peuvent être facilement gênés, opprimés, enchaînés. D’ailleurs, l’animal, par sa joie insouciante, par sa simplicité, n’est-il pas une espèce de représentation de l’enfance de l’homme ? Ici donc, la tendresse du jeune rêveur, tout en s’égarant sur de nouveaux objets, restait fidèle à son caractère primitif.