Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/375

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de l’homme qui boit, si ce n’est la joie du vin d’être bu. » En effet, le vin joue un rôle intime dans la vie de l’humanité, si intime, que je ne serais pas étonné que, séduits par une idée panthéistique, quelques esprits raisonnables lui attribuassent une espèce de personnalité. Le vin et l’homme me font l’effet de deux lutteurs amis sans cesse combattant, sans cesse réconciliés. Le vaincu embrasse toujours le vainqueur.

Il y a des ivrognes méchants ; ce sont des gens naturellement méchants. L’homme mauvais devient exécrable, comme le bon devient excellent.

Je vais parler tout à l’heure d’une substance mise à la mode depuis quelques années, espèce de drogue délicieuse pour une certaine catégorie de dilettantistes, dont les effets sont bien autrement foudroyants et puissants que ceux du vin. J’en décrirai avec soin tous les effets, puis reprenant la peinture des différentes efficacités du vin, je comparerai ces deux moyens artificiels, par lesquels l’homme, exaspérant sa personnalité, crée, pour ainsi dire, en lui une sorte de divinité.

Je montrerai les inconvénients du haschisch, dont le moindre, malgré les trésors de bienveillance inconnus qu’il fait germer en apparence dans le cœur, ou plutôt dans le cerveau de l’homme, dont le moindre défaut, dis-je, est d’être antisocial, tandis que le vin est profondément humain, et j’oserais presque dire homme d’action.