Aller au contenu

Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/399

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour l’excessif, des habitudes de réclusion et de dissipation également violentes et prolongées, et depuis longtemps il était resté fidèle au logis. La paresse maternelle, la fainéantise créole qui coulait dans ses veines l’empêchait de souffrir du désordre de sa chambre, de son linge et de ses cheveux encrassés et emmêlés à l’excès. Il se peigna, se lava, sut en quelques minutes retrouver le costume et l’aplomb des gens chez qui l’élégance est chose journalière ; puis il ouvrit la fenêtre. — Un jour chaud et doré se précipita dans le cabinet poudreux. Samuel admira comme le printemps était venu vite en quelques jours, et sans crier gare. Un air tiède et imprégné de bonnes odeurs lui ouvrit les narines, — dont une partie étant montée au cerveau, le remplit de rêverie et de désir, et l’autre lui remua libertinement le cœur, l’estomac et le foie. — Il souffla résolûment ses deux bougies dont l’une palpitait encore sur un volume de Swedenborg, et l’autre s’éteignait sur un de ces livres honteux dont la lecture n’est profitable qu’aux esprits possédés d’un goût immodéré de la vérité.

Du haut de sa solitude, encombrée de paperasses, pavée de bouquins et peuplée de ses rêves, Samuel apercevait souvent, se promenant dans une allée du Luxembourg, une forme et une figure qu’il avait aimées en province, — à l’âge où l’on aime l’amour. — Ses traits, quoique mûris et engraissés par quelques années de pratique, avaient la grâce profonde et décente de l’honnête femme ; au fond de ses yeux brillait encore