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Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/400

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par intervalles la rêverie humide de la jeune fille. Elle allait et venait, habituellement escortée par une bonne assez élégante, et dont le visage et la tournure accusaient plutôt la confidente et la demoiselle de compagnie que la domestique. Elle semblait rechercher les endroits abandonnés, et s’asseyait tristement avec des attitudes de veuve, tenant parfois dans sa main distraite un livre qu’elle ne lisait pas.

Samuel l’avait connue aux environs de Lyon, jeune, alerte, folâtre et plus maigre. À force de la regarder et pour ainsi dire de la reconnaître, il avait retrouvé un à un tous les menus souvenirs qui se rattachaient à elle dans son imagination ; il s’était raconté à lui-même, détail par détail, tout ce jeune roman, qui, depuis, s’était perdu dans les préoccupations de sa vie et le dédale de ses passions.

Ce soir-là, il la salua, mais avec plus de soin et plus de regards. En passant devant elle, il entendit derrière lui ce lambeau de dialogue :

— Comment trouvez-vous ce jeune homme, Mariette ?

— Mais cela dit avec un ton de voix si distrait, que l’observateur le plus malicieux n’y eût rien trouvé à redire contre la dame.

— Mais je le trouve fort bien, madame. — Madame sait que c’est M. Samuel Cramer ?

Et sur un ton plus sévère :

— Comment se fait-il que vous sachiez cela, Mariette ?

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