Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/410

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dans cette candide désolation, se méprenait sur l’intention de son regard. Il y eut là un jeu singulier de malentendus, à la suite duquel Samuel Cramer lui tendit définitivement une double poignée de main, qu’elle accepta avec une tendre confiance.

— Madame, reprit Samuel après quelques instants de silence, — le silence classique de l’émotion, — la vraie sagesse consiste moins à maudire qu’à espérer. Sans le don tout divin de l’espérance, comment pourrions-nous traverser ce hideux désert de l’ennui que je viens de vous décrire ? Le fantôme qui nous accompagne est vraiment un fantôme de raison : on peut le chasser en l’aspergeant avec l’eau bénite de la première vertu théologale. Il y a une aimable philosophie qui sait trouver des consolations dans les objets les plus indignes en apparence. De même que la vertu vaut mieux que l’innocence, et qu’il y a plus de mérite à ensemencer un désert qu’à butiner avec insouciance dans un verger fructueux, de même il est vraiment digne d’une âme d’élite de se purifier et de purifier le prochain par son contact. Comme il n’est pas de trahison qu’on ne pardonne, il n’est pas de faute dont on ne puisse se faire absoudre, pas d’oubli qu’on ne puisse combler ; il est une science d’aimer son prochain et de le trouver aimable, comme il est un savoir bien vivre.

Plus un esprit est délicat, plus il découvre de beautés originales ; plus une âme est tendre et ouverte à la divine espérance, plus elle trouve dans autrui, quelque