Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/414

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fille qui veut se marier de faire un choix imprudent, qu’une femme perdue de prendre un amant ignoble. L’une et l’autre, — malheureuses que nous sommes ! — sont également ignorantes. Il manque à ces malheureuses victimes, qu’on nomme filles à marier, une honteuse éducation, je veux dire la connaissance des vices d’un homme. Je voudrais que chacune de ces pauvres petites, avant de subir le lien conjugal, pût entendre dans un lieu secret, et sans être vue, deux hommes causer entre eux des choses de la vie, et surtout des femmes. Après cette première et redoutable épreuve, elles pourraient se livrer avec moins de danger aux chances terribles du mariage, connaissant le fort et le faible de leurs futurs tyrans.

Samuel ne savait pas au juste où cette charmante victime en voulait venir ; mais il commençait à trouver qu’elle parlait beaucoup trop de son mari pour une femme désillusionnée.

Après avoir fait une pause de quelques minutes, comme si elle craignait d’aborder l’endroit funeste, elle reprit ainsi :

— Un jour, M. de Cosmelly voulut revenir à Paris ; il fallait que je brillasse dans mon jour et que je fusse encadrée selon mes mérites. Une femme belle et instruite, disait-il, se doit à Paris. Il faut qu’elle sache poser devant le monde et faire tomber quelques-uns de ses rayons sur son mari. — Une femme qui a l’esprit noble et du bon sens sait qu’elle n’a de gloire à attendre ici-bas qu’autant qu’elle fait une partie de la