Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/415

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gloire de son compagnon de voyage, qu’elle sert les vertus de son mari, et surtout qu’elle n’obtient de respect qu’autant qu’elle le fait respecter. — Sans doute, c’était le moyen le plus simple et le plus sûr pour se faire obéir presque avec joie ; savoir que mes efforts et mon obéissance m’embelliraient à ses yeux, à coup sûr, il n’en fallait pas tant pour me décider à aborder ce terrible Paris, dont j’avais instinctivement peur, et dont le noir et éblouissant fantôme dressé à l’horizon de mes rêves faisait se serrer mon pauvre cœur de fiancée. — C’était donc là, à l’entendre, le vrai motif de notre voyage. La vanité d’un mari fait la vertu d’une femme amoureuse. Peut-être se mentait-il à lui-même avec une sorte de bonne foi, et rusait-il avec sa conscience sans trop s’en apercevoir. — À Paris, nous eûmes des jours réservés pour des intimes, dont M. de Cosmelly s’ennuya à la longue, comme il s’était ennuyé de sa femme. Peut-être s’était-il un peu dégoûté d’elle, parce qu’elle avait trop d’amour ; elle mettait tout son cœur en avant. Il se dégoûta de ses amis par la raison contraire. Ils n’avaient rien à lui offrir que les plaisirs monotones des conversations où la passion n’a aucune part. Dès lors, son activité prit une autre direction. Après les amis vinrent les chevaux et le jeu. Le bourdonnement du monde, la vue de ceux qui étaient restés sans entraves et qui lui racontaient sans cesse les souvenirs d’une jeunesse folle et occupée, l’arrachèrent au coin du feu et aux longues causeries. Lui, qui n’avait jamais eu d’autre affaire que son cœur, il