Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/416

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eut des affaires. Riche et sans profession, il sut se créer une foule d’occupations remuantes et frivoles qui remplissaient tout son temps ; les questions conjugales : « — Où vas-tu ? — À quelle heure te reverra-t-on ? — Reviens vite, » il fallut les refouler au fond de ma poitrine ; car la vie anglaise, — cette mort du cœur, — la vie des clubs et des cercles, l’absorba tout entier. — Le soin exclusif de sa personne et le dandysme qu’il affecta me choquèrent tout d’abord ; il est évident que je n’en étais pas l’objet. Je voulus faire comme lui, être plus que belle, c’est-à-dire coquette, coquette pour lui, comme il l’était pour le monde ; autrefois j’offrais tout, je donnais tout, je voulus désormais me faire prier. Je voulais ranimer les cendres de mon bonheur éteint, en les agitant et en les retournant ; mais il paraît que je suis bien malhabile à la ruse et bien gauche au vice ; il ne daigna pas s’en apercevoir. — Ma tante, cruelle comme toutes les femmes vieilles et envieuses, qui sont réduites à admirer un spectacle où jadis elles furent actrices, et à contempler les jouissances qu’on leur refuse, eut grand soin de me faire savoir, par l’entremise intéressée d’un cousin de M. de Cosmelly, qu’il s’était épris d’une fille de théâtre fort en vogue. Je me fis conduire dans tous les spectacles, et toute femme un peu belle que je voyais entrer en scène, je tremblais d’admirer en elle ma rivale. Enfin j’appris, par une charité du même cousin, que c’était la Fanfarlo, une danseuse aussi bête que belle, — Vous qui êtes auteur, vous la connaissez sans doute. — Je ne suis pas