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Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/450

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— la désolée, la lamentable situation de mon âme. Je vous ai dit que la folle, pour ne pas dire la féroce résolution de ma famille, qui n’a pas voulu me laisser le choix libre dans une affaire, — qui, de toutes les affaires humaines, demande le plus de choix, — m’a inspiré une horreur précoce pour l’être à qui je devais alors sacrifier toute raison, sentiment et volonté ; et que, follement accouplés dans notre enfance dans le burlesque dessein d’apprendre à nous aimer, nous en prîmes chacun une haine invincible l’un pour l’autre, et nous nous séparâmes dès lors pour ne jamais nous revoir !

— Résolutions de deux enfants étourdis, dit Callias, qui se tenait cette fois sur ses gardes et ne voulait pas pousser à bout son ami ; — et ces résolutions sont-elles des pactes indestructibles, une religion inébranlable pour les années plus mûres ? il n’est rien sous les astres qui ne change, et tout est chrysalide. Resterons-nous l’œil fixé sur l’orient pour voir lever le soleil, quand il s’arrange déjà un oreiller avec les nuages du couchant ? Votre cousine a maintenant passé l’enfance ; elle est peut-être aimable comme Hébé, et joyeuse comme Flore, la reine des fleurs. N’avez-vous jamais eu la curiosité de savoir quelle elle est depuis cette terrible bataille que vous avez eue en nourrice ?

— La revoir ! répliqua Sempronius, elle ! cet instrument de tyrannie paternelle ! jamais je n’eus cette envie, et je ne l’aurai jamais. Mon éducation, qui se fit à Athènes, me jeta d’abord loin de Rome. Puis, un jour,