Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/454

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vous êtes tombé amoureux d’une des danseuses du temple. Les glaces du cœur sont faciles à fondre sous ce bon climat d’Asie ; je présume qu’elle écouta complaisamment la répétition que vous fîtes du rôle de l’Ionien.

Sempronius porta la main à son poignard.

— Méchant Grec, s’écria-t-il, ne me mets pas à l’épreuve une seconde fois. Encore un mot de mépris, et nous nous quittons pour toujours. Les étoiles qui brillent sur nos têtes ne sont pas plus loin de nous que mon idole de l’haleine impure du soupçon. Je ne l’ai jamais revue ; toutes mes recherches furent vaines. Les dévots qui ont pu supporter vos ricanements impies sont d’une autre race que moi. Il n’y a que votre penchant incorrigible à tout ridiculiser qui a pu vous faire oublier que les prêtresses sont aussi sacrées que les vestales du Capitole. C’était une des filles de l’autel.

Callias fit ses excuses et parvint à calmer l’irritation de son ami.

— Mais, dit-il, n’avez-vous jamais cherché à retrouver ce modèle accompli ? Ne lui avez-vous jamais offert de l’épouser ?

— Le retrouver ! dit le Romain. Voici la seconde année que je cours l’Asie, la Grèce et l’Italie, toujours poussé par une invincible espérance. Elle a quitté le temple, hélas ! et j’ai pu croire qu’elle était remontée aux cieux ! Encore, si je la pouvais retrouver ici-bas ! Que pourrais-je faire ? Mon père, à son lit de mort, me laissa le choix des anathèmes ou de sa bénédiction, si