Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/456

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j’avais vu dans la fatale nuit du banquet d’Éphèse. Je n’osai pas regarder plus longtemps. J’aurais adoré la vivante création du pinceau, ou, comme un nouveau Prométhée, j’aurais, de mes lèvres brûlantes, soufflé un feu nouveau sur cette forme. Si j’avais été le maître des trésors de la terre, je les aurais donnés pour posséder cette peinture et mourir l’œil fixé sur elle. Mais, à ce moment, je crus que l’esprit sévère de mon père se dressait du fond des ténèbres, et je tombai dans la terreur et le désespoir.

Pendant qu’il parlait avec la sombre énergie d’un cœur brisé, Callias jetait sur lui un regard de compassion plus vive qu’il n’en avait jamais accordé à aucune face humaine. Mais pendant qu’il continuait, une pensée soudaine sembla illuminer le visage du jeune Grec. Il sourit, parut vouloir parler, renfonça ses mots comme s’il voulait les peser, fit quelques pas désordonnés sur le pavé de la salle, comme s’il voulait broyer et réduire en poussière les amours de Tithon et de l’Aurore peints en mosaïque ; enfin il se jeta sur un des sofas d’ivoire, et se répandit en éclats de rire.

Sempronius le regardait avec étonnement. Callias se leva de nouveau, et la même pantomime recommença : — les sourires, les phrases et les promenades interrompues, et les mêmes éclats de rire. — Sempronius présuma que son fantastique ami avait été piqué par un aspic ou une tarentule.

— Êtes-vous fou, Callias ? s’écria-t-il à la fin.

— Par Mercure ! je le crois, répondit celui-ci. C’est