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auteur des Fleurs du mal. Nous n’étonnerons personne si nous ajoutons qu’il préférait à l’odeur simple de la rose et de la violette le benjoin, l’ambre et même le musc si déconsidéré de nos jours, et aussi l’arome pénétrant de certaines fleurs exotiques dont les parfums sont trop capiteux pour nos climats modérés. Baudelaire était, en fait d’odeurs, d’une sensualité étrangement subtile qu’on ne rencontre guère que parmi les Orientaux. Il en parcourait délicieusement toute la gamme, et il a pu justement dire de lui cette phrase que cite Banville et que nous avons rapportée au début de notre article dans le portrait du poëte : « Mon âme voltige sur les parfums comme l’âme des autres hommes voltige sur la musique. »

Il aimait aussi les toilettes d’une élégance bizarre, d’une richesse capricieuse, d’une fantaisie insolente, où se mêlait quelque chose de la comédienne et de la courtisane, quoiqu’il fût lui-même sévèrement exact dans son costume, mais ce goût excessif, baroque, antinaturel, presque toujours contraire au beau classique, était pour lui un signe de la volonté humaine corrigeant à son gré les formes et les couleurs fournies par la matière. Là où le philosophe ne trouve qu’un texte à déclamation, il voyait une preuve de grandeur. La dépravation, c’est-à-dire l’écart du type normal, est impossible à la bête, fatalement conduite par l’instinct immuable. C’est par la même raison que les poëtes inspirés, n’ayant pas la conscience et la direction de leur œuvre, lui causaient une sorte d’aversion, et qu’il voulait introduire l’art et le travail même dans l’originalité.

Voilà pour une notice bien de la métaphysique, mais Baudelaire était une nature subtile, compliquée, raisonneuse, paradoxale et plus philosophique que ne l’est en général celle des poëtes. L’esthétique de son art l’occupait beau-