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mettant avec indifférence sa lueur d’or sur la charogne et sur la rose.

Élévation nous montre le poëte nageant en plein ciel, par delà les sphères étoilées, dans l’éther lumineux, sur les confins de notre univers disparu au fond de l’infini comme un petit nuage, et s’enivrant de cet air rare et salubre où ne monte aucun des miasmes de la terre et que parfume le souffle des anges ; car il ne faut pas oublier que Baudelaire, bien qu’on l’ait souvent accusé de matérialisme, reproche que la sottise ne manque pas de jeter au talent, est, au contraire, doué à un degré éminent du don de spiritualité, comme dirait Swedenborg. Il possède aussi le don de correspondance, pour employer le même idiome mystique, c’est-à-dire qu’il sait découvrir par une intuition secrète des rapports invisibles à d’autres et rapprocher ainsi, par des analogies inattendues que seul le voyant peut saisir, les objets les plus éloignés et les plus opposés en apparence. Tout vrai poëte est doué de cette qualité plus ou moins développée, qui est l’essence même de son art.

Sans doute Baudelaire, dans ce livre consacré à la peinture des dépravations et des perversités modernes, a encadré des tableaux répugnants, où le vice mis à nu se vautre dans toute la laideur de sa honte ; mais le poëte, avec un suprême dégoût, une indignation méprisante et une récurrence vers l’idéal qui manque souvent chez les satiriques, stigmatise et marque d’un fer rouge indélébile ces chairs malsaines, plâtrées d’onguents et de céruse. Nulle part la soif de l’air vierge et pur, de la blancheur immaculée, de la neige sur les Himalaya, de l’azur sans tache, de la lumière immarcessible, ne s’accuse plus ardemment que dans ces pièces qu’on a taxées d’immorales, comme si la flagellation du vice était le vice même, et qu’on fût